En France :
- la liberté académique n’est pas inscrite dans la Constitution
- la liberté d’expression a bien une valeur constitutionnelle, puisqu’inscrite à l’article 11 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Mais la jurisprudence du Conseil Constitutionnel et du Conseil d’État ne lui donnent pas la portée qu’elle a en matière de liberté académique aux USA et devant la CEDH (Cour Européenne des Droits de l’homme)
- il n’y a pas de véritable protection constitutionnelle de l’université, et donc de tous les aspects de la liberté académique
- la liberté académique est bien inscrite dans la loi, mais le législateur peut y porter atteinte, notamment à son aspect organisationnel, car selon le Conseil d’État « le principe d’autonomie des universités [...] n’a pas […] de valeur constitutionnelle » (considérant n°5 de l’arrêt du 23 novembre 2016, requête n° 395652).
- même après que le Conseil Constitutionnel ait considéré que « par leur nature même, les fonctions d'enseignement et de recherche non seulement permettent mais demandent, dans l'intérêt même du service, que la libre expression et l'indépendance des personnels soient garantis», donc de tous les personnels exerçant des fonctions d’enseignement et de recherche, le Conseil d’État a, à plusieurs reprises, considéré « que le principe à valeur constitutionnelle d'indépendance des professeurs ne s'applique qu'aux professeurs des universités », et donc que le législateur pouvait porter atteinte à celle des maîtres de conférence, et il aura fallu que le Conseil Constitutionnel explicite ce qui était déjà clair dans sa précédente décision (cf. décision 94-355 DC et ce qui en est dit dans le commentaire sous un article du 15 novembre 2020 relatif aux menaces sur l’université)
La liberté académique en France est donc insuffisamment garantie par le Conseil Constitutionnel. Et la jurisprudence du Conseil d’État n’ajoute pas de garanties à la liberté académique au regard de la jurisprudence constitutionnelle mais en retranche !
On constate par ailleurs que les lois récentes relatives aux universités, notamment LRU et LPR ont pour objet et pour effet de porter atteinte à la liberté académique, même quand elles prétendent la promouvoir. En attribuant des pouvoirs exorbitants aux présidents et directeurs d’établissements universitaires, et en faisant gérer ces derniers comme des entreprises. Et donc TOUS leurs employés comme des subordonnés du chef d’établissement.
Il est donc urgent et indispensable, tant que le droit constitutionnel et la jurisprudence du Conseil d’État ne le permettent pas, de pouvoir opposer à ces lois liberticides des traités internationaux qui, selon l’article 55 de notre Constitution, ont une autorité supérieure à ces lois. Car l’invocation d’une disposition législative censée garantir la liberté académique n’est d’aucune utilité à l’encontre d’une autre disposition législative ultérieure y portant atteinte.
Concrètement, ce sont surtout les traités Européens qui ont utiles à invoquer, car y sont associés des cours pouvant en apprécier le respect :
- l’article 13 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union Européenne, sur le fondement duquel la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) a déjà pu sanctionner une atteinte à l’aspect collectif et organisationnel de la liberté académique (cf. la présentation générale, et les §§ 15, 52 et 53 de la réclamation 211/2022)
- l’article 10 de la Convention Européenne des droits de l’homme, sur le fondement duquel la CEDH (la Cour Européenne des Droits de l’Homme) a pu sanctionner des atteintes à l’aspect individuel de la liberté académique (cf. le §23 de la réclamation 211/2022)
- l’article 22 de la Charte Sociale Européenne, sur le fondement duquel le Comité Européen des Droits Sociaux) va examiner au fond une atteinte à l’aspect collectif et organisationnel de la liberté académique (cette réclamation a été déclarée recevable le 23 mars 2023 et sera donc examinée au fond, le CEDS a laissé au gouvernement français jusqu’au 15 mai 2023 pour produire ses observations en défense).
Mais l’invocation de ces traités européens pour la défense de la liberté académique est juridiquement très complexe car :
- la CJUE ne peut être saisie directement ; elle doit l’être au moyen d’une « question préjudicielle » (QPJ en abrégé) posée par une juridiction nationale à la demande d’un plaideur ; le CNESER disciplinaire a, comme le Conseil d’État, les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, la faculté d’adresser une QPJ à la CJUE, mais pas les juridictions disciplinaires locales. Le rôle du CNESER disciplinaire est donc essentiel pour aller à l’encontre de la jurisprudence restrictive du Conseil d’État, juge de cassation disciplinaire, en matière de liberté académique, car on peut douter que ce dernier accepte d’adresser à la CJUE une QPJ tendant à faire reconnaître au niveau européen des droits qu’il leur dénie avec constance au niveau national !
- la CEDH ne peut être saisie qu’après « épuisement des voies de recours internes », ce qui prend du temps, auquel s’ajoute le temps mis par la CEDH pour juger. En outre, sauf dans de très rares cas, la CEDH ne sanctionne pas une loi liberticide tant qu’elle n’a pas fait de victime concrète, elle ne peut donc pas être saisie pour éviter qu’un enseignant universitaire subisse une atteinte à sa liberté académique, mais uniquement pour sanctionner cette atteinte une fois celle-ci commise
- le CEDS ne peut être saisi que par un syndicat, et la Charte Sociale Européenne ne protège pas l’aspect individuel de la liberté académique. Invoquer la liberté académique devant le CEDS est en outre particulièrement complexe en matière de technique juridique, au point que ce n’est que très récemment qu’un syndicat y est parvenu (sa réclamation a été déclarée recevable le23 mars 2023 et sera donc examinée au fond, le CEDS a laissé au gouvernement français jusqu’au 15 mai 2023 pour produire ses observations en défense).
Les professeurs des établissements universitaires (au sens large et fonctionnel, pas au sens restrictif et administratif adopté par le Conseil d’État, cf. ci-dessus) ont donc besoin d’un syndicat comme QLAC doté d’une compétence juridique très pointue pour la défense de leur liberté académique dans toutes ses dimensions au niveau européen. Que ce soit au CNESER (notamment disciplinaire) ou en dehors (notamment devant la CJUE, la CEDH et le CEDS).
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